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dimanche 23 mai 2010

Sage Francis - Li(f)e


sorti le 11 mai 2010 chez Strange Famous Records/Anti-Records
Voici un album dont beaucoup ont parlé ces derniers mois et qui suscite, depuis sa sortie, une sympathique polémique. Sage Francis est un personnage incontournable de la scène hip-hop américaine. L’artiste est d’abord un homme complexe : ouvert, curieux, puisant ses inspirations aussi bien dans les fondamentaux du rap que dans beaucoup d’autres courants musicaux. Sage Francis est aussi un homme de combat dont les textes, généralement à charge, dénoncent parfois crûment des dérives politiques et autres. L’artiste est surtout considéré comme un agité aussi bien dans ses productions musicales que dans ses textes.
Pour sa nouvelle réalisation, Li(f)e, on devinait qu’il se tramait quelque chose de particulier. L’album était annoncé avec des collaborateurs multiples allant des membres de Calexico, au regretté Mark Linkous, à notre hexagonal Yann Tiersen en passant encore par Jason Lytle (ex-Grandaddy), Chris Walla(Death Cab for Cutie)... Autant dire qu’on touche là à des sphères assez inhabituelles et éloignées du hip hop ricain.
Deux extraits des plus attrayants avaient été jetés en pâture quelques semaines avant la sortie du LP : le dynamitant "Slow Man" et la réalisation mélancolico-rêveuse issue du travail de Sage Francis avec Yann Tiersen : "The Best Of Times" . Nous devions assister à la délivrance de l’une des bombes musicales de 2010. Que ce soit aussi bien dans la presse spécialisée, que parmi les membres de la blogosphère musicale, l’attente du Saint-Graal allait enfin combler un début d’année aux premières sorties moyennement enthousiasmantes.
Nous sommes mi-mai quand l’album sort et se trouve largement diffusé. (Notons au passage que l’artiste et le label ont su lutter intelligemment contre un leakage précoce du LP.) Et là c’est... le drame ! Je n’ai pas encore pu jeter une oreille surLi(f)e que j’assiste à un déferlement de critiques assassines aussi bien chezPitchfork et un sévère 6.3 que parmi mes collègues blogueurs musicaux connus pour leur habituelle objectivité et justesse d’analyse (cf liens en fin d’article).
Là plusieurs options s’offrent  :
- le déni [On n’écoutera pas l’album car il est un théorème qui dit que Sage Francis ne rate jamais un album. Li(f)e ?? Connais pas cet album, jamais entendu parler, ce doit être un imposteur homonyme du grand Sage qui l’a réalisé.]
- l’effet de bande [Ahh Sage Francis s’est bien vautré, nous aussi on ne va pas le rater ! Et avant même d’écouter le disque on se plaît à relire les critiques assassines des copains histoire de repérer quels sont les pires titres qu’on va écouter en boucle avec une jouissance sadique pour en dire les pires ignominies. Brûlons ceux que nous avons idolâtrés ! Et puis dans l’effet de masse on se sent moins coupable d’en dire du mal puisque MÊME Pitchfork n’a pas aimé !] 
- le allons-y à reculons [Un peu comme lorsque nous devons faire soigner une carie, on sait qu’il faut aller chez le dentiste, qu’on va avoir un peu mal, mais on ne peut pas faire comme si cela n’existait pas. Et puis ça se trouve, on n’aura même pas mal !].
Ainsi, sans trop de convictions, je me suis plongée dans Li(f)e et... *suspense*... ce fut follement enrichissant !!! Une première écoute déroutante certes, presque décevante parce que l’album n’accroche pas sur la durée. Mes quelques reproches ne portent pas véritablement sur le contenu mais sur la construction du disque. L’obstacle à franchir, l’épreuve pénible de l’écoute se situe pour moi dans le trio des pistes allant de "Polterzeitgeist" à "16 Years". Une fois que nous avons repéré ce qui nous gâche l’écoute, l’album se révèle sous une toute autre dimension. On ne peut pas dire que Li(f)e est un album raté ou décevant car il comporte des morceaux fantastiques et des collaborations étonnantes nous révélant quelques facette de Sage Francis totalement méconnues. Toutes ces associations variées au sein de Li(f)e sont, sous la forme d’un méli-mélo, le reflet de ce qu’est l’HOMME Sage Francis : un poète, un être sensible, un gros rigolo, un rebelle... Voilà en quoi l’écoute de l’album se révèle passionnante. Bon sang, oublions les exigences artistiques et nos attentes du Sage Francis des albums précédents : lançons-nous curieux dans cette introspection que nous offre Sage. "Three Sheets To The Wind" est trop péchu-poppy pour un rappeur du niveau de Sage Francis, et alors ?!?! Le morceau est sympathique, entrainant et se réécoute avec plaisir. N’est-ce pas là une bonne chose ? D’autres pistes sont de véritables bijoux de joyeuses mélancolies comme "I Was Zero" ou le titre "London Bridge" qu’on croirait interprété accompagné d’une chorale de kermesse d’école. C’est festif : j’aime. Mes filles adorent : on écoute du Sage Francis en famille ! Et pourtant, n’en déplaise aux esprits critiques, au sein de tout cela se trouvent des morceaux plus habituels du Monsieur que ce soit "Love The Lie" ou le très beau "Diamonds and Pearls".
Certes, on ne s’attend pas à de telles réalisations. On espère peut être découvrir quelque chose de moins fouillis et de plus "ambitieux" dans le genre remue-méninges. Mais beaucoup aimeront et réécouteront avec un plaisir énorme de nombreuses pistes de Li(f)e. Pour ma part, Sage Francis ne m’aura pas déçue, il m’aura simplement surprise... agréablement surprise.